En septembre 2019, sur fond de Brexit imminent, le géant du tourisme Thomas Cook annonçait une faillite retentissante, laissant en rade 22 000 employés et pas moins de 600 000 touristes aux quatre coins du monde, pris en charge dans « l’opération de rapatriement la plus importante pour des civils de l’Histoire, en temps de paix » selon les dires du département britannique des Transports.
Thomas Cook ?
Ce nom n’évoque pas toujours grand chose pour nous les Français. Mais pour les Anglo-saxons, le groupe était THE travel agency. Une institution qui organisait vacances, voyages de noces, croisières… Depuis de nombreuses générations. Un empire pionnier, bâti par un anglais hors norme qui avait flairé dès le milieu du XIXe siècle un filon en or : le tourisme moderne.
Alors, écoutez l’histoire de Thomas Cook…
un ecosysteme disruptif : le voyage organisé
Au milieu du XIXe siècle, c’est presque par hasard que ce jeune autodidacte londonien organise son premier voyage de groupe : un déplacement en train d’activistes mobilisés contre les ravages de l’alcool, dont il fait partie. C’est un succès. Grisé par l’expérience, le sobre mister Cook ne s’arrête pas là et peaufine son idée.
A l’époque, seuls les anglais de la high-society ont le privilège de goûter aux plaisirs d’un nouveau loisir : le voyage. Désireux d’échapper à une Angleterre en proie à l’industrialisation galopante, ils disposent du temps et de l’argent nécessaire pour aller se frotter à d’autres cultures, et de séjourner en villégiature dans une région au climat clément et « bon pour la santé », comme la Côte d’Azur en France. Mais mis-à-part cette société d’élite, au XIXe siècle, personne n’a encore l’opportunité (et l’idée) de voyager.
Thomas Cook imagine alors un business “disruptif“ pour l’époque : donner la possibilité aux familles anglaises fortunées de voir du (et même des) pays. Ils ont d’argent, mais ces roturiers n’ont pas encore la culture et l’assurance des membres de la high-society pour se lancer dans ce genre d’aventures. Où acheter les billets ? Comment trouver un hébergement ? Se débrouiller dans un pays à la langue et aux coutumes inconnues ? Pour eux, Cook pense et prépare tout, clé en main. En quelques années, cet innovateur crée un écosystème pensé pour inciter ses compatriotes à découvrir l’Europe et plus tard le monde, en toute quiétude :
- 1851, il lance The Excursionist, la première revue de tourisme.
- 1854 il ouvre un hôtel à Leicester
- 1855, c’est le premier Cook’s Tour, une croisière sur le Rhin
- 1863, il crée le premier voyage “packagé“ bateau + train + hôtel, en nouant un partenariat avec la Compagnie des chemins de fer de l’Ouest française.
- Viennent ensuite d’autres innovations comme les coupons d’hôtel (vouchers) et le chèque de voyage (travellers check) utilisé largement jusqu’au début des années 2000.
Non content d’envoyer ses compatriotes aux “bains de mer“, ou dans les grandes capitales de l’Europe de l’Ouest, Cook n’a cessé de défricher de nouvelles destinations qui deviendront des standards du tourisme international, comme les Alpes, l’Egypte ou l’Italie.
A l’époque, la voiture individuelle n’existe pas encore et le tourisme ferroviaire bat son plein. La création des lignes de chemin de fer accompagne à l’époque celle des premières destinations touristiques grand public, en France et partout en Europe. Parmi les destinations prisées, les grandioses Alpes Suisses découvertes bien au chaud à bord d’incroyables trains de montagne aux vues spectaculaires (encore appréciés aujourd’hui des touristes du monde entier). L’arrivée des voyageurs a même contribué à enrichir la population helvète montagnarde, jusqu’alors très pauvre comme le relate l’auteur d’un article de SwissInfo.ch (en anglais). Cook va toujours plus loin, et noue des relations privilégiées avec des partenaires du monde entier, comme en Egypte, où il décroche l’exclusivité des premières croisières sur le Nil ! Puis il ouvre également des agences dans tout le monde occidental – en France, dès 1881, à Paris – pour étendre encore sa sphère d’influence, et répondre à la demande des candidats au départ. A sa mort en 1892, c’est un empire qu’il lègue à sa descendance, qui le revendra quelques dizaines d’années plus tard, dans les années 1920. Avion, destinations de plus en plus lointaines, le groupe Cook étendra son sphère d’influence comme un acteur majeur du tourisme et de ses évolutions au cours du XXe siècle.
Cook et Kodak, même destin ?
Alors comment expliquer cette chute, quelques mois avant que la pandémie n’assigne la planète à résidence ? C’est la même histoire que celle de Kodak, le géant XXe de la photographie : l’inventeur ringardisé. Les deux entreprises sont emblématiques, à la source de la démocratisation d’une innovation – la photo grand public pour Kodak, le voyage organisé pour Cook – deux créations qui se complètent d’ailleurs très bien.
Mais malgré leur notoriété et leur puissance, toutes deux n’ont pas survécu à la révolution numérique. Il y a une vingtaine d’années, l’heure du voyage 3.0 a sonné et ses nouveaux champions s’appellent EasyJet, Airbnb ou TripAdvisor. Comme Cook au XIXe siècle, ils promettent à leurs clients un voyage sur mesure, et surtout au meilleur prix. Ce n’est plus devant un comptoir, mais derrière un écran que le voyage s’organise, à coup de comparateur de tarifs et de lecture assidue de commentaires pas toujours objectifs.
A quand le tourisme 4.0 ? Aujourd’hui, ce qui est devenue une industrie lourde mondialisée fait désormais face à sa propre saturation. Et le changement climatique – auquel cette activité contribue à hauteur de 8 à 10 % pour ce qui est des émissions carbone – change les traits de côtes, menaçant l’existence même d’Etats archipels prisés comme destinations touristiques. Pour y remédier, certains s’inspirent ainsi des voyages des premiers tourists guidés par Cook et renouent avec les voyages en train et en bateau. La boucle serait-elle bouclée ?
A lire
Cet esprit pionnier vous inspire ? Vous voulez tout savoir sur les débuts du tourisme ?Cette biographie vous embarquera dans le monde merveilleux des premiers voyages touristiques.
Thomas Cook, l’inventeur des voyages, de Béatrix de l’Aulnoit et Philippe Alexandre (Robert Laffont)